Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

"La prière des humbles perce les nues."

 (L'Ecclésiaste, XXXV,  2 I ; II e s. av. J.-C.) 

 

 

Sahara du MAROC - région de FOUM-ZGUID - avril 2OO2.

 

Après les projets du nouvel an entre amis, où nous devions être quatre à partir dans le sud marocain, seuls Jean-Luc et moi avons pris les billets d’avion, sésames pour le grand sud.

Trois années ont passé depuis mon séjour chez les nomades, dans la famille de Lahcene.

 

Lahcene, mon ami nomade, vient nous chercher à Marrakech, dans un 4 x 4 conduit par " Mohamed le chauffeur ". Tout en gardant le cap vers le grand sud, nous visitons les impressionnantes gorges du Dadès et du Todra, puis les dunes de Merzouga, très beau site, hélas pollué et dégradé en raison d'une inflation touristique. Puis, nous nous dirigeons vers Zagora, par la piste, traversant les flamboyants paysages volcaniques du Djebel Saghro.

 

Nous arrivons dans la région de Zagora. Après trois ans d'absence, je retrouve avec une vive émotion les vastes étendues rocailleuses de la vallée du Draa et du Djebel Bani. Nous sommes en avril et, exceptionnellement, il a beaucoup plu depuis une quinzaine de jours. Il fait encore très frais, presque froid. Un vent de sable persistant nous aveugle, mitraille et recouvre le véhicule, ce qui déplait souverainement au chauffeur. Dans les lointains brumeux, sous un ciel lourd, des mini-tornades de sable se déplacent ici et là, très grands sabliers élancés et ondoyants,  évoquant ces esprits que l'on nomme ici Djinns.

 

Nous partons à la recherche de la famille de Lahcene, que j'ai hâte de retrouver. Un peu déçue, j’apprends que les tentes ne sont plus à la même place, sur la sublime étendue de pierres rouges de l’Hamada du Draa, là où je les ai découvertes pour la première fois. Lahcene nous informe que, d’après le "téléphone arabe", son père, Youssef, nomadiserait dans les environs de Foum-Zguid, à 13O km à l'ouest de Zagora, mais il ne sait pas exactement où...

 

Toujours par la piste, nous arrivons à  Foum-Zguid vers 17 heures 3O.  Quelle n'est pas notre surprise d'apercevoir Youssef et l'oncle Ali, qui semblent nous attendre placidement au bord de la route ! Je suis si heureuse de les retrouver ! A voir leurs mines réjouies, cela semble réciproque. Les deux hommes seraient là " par hasard ", car ils attendent un camion de ravitaillement. C'est vraiment une chance, une situation à peine croyable, qui nous surprend beaucoup, mais qui ne semble pas étonner les nomades le moins du monde.

 

Youssef et Ali nous apprennent que le troupeau et la tente sont dans la montagne à une quinzaine de kilomètres de la bourgade. Tout naturellement, nous sommes invités à nous y rendre sur le champ. Nous  exprimons cependant quelques réserves. En voici les raisons : les 15 kilomètres estimés par les nomades peuvent être 2O ?...  Il n'y a pas de sentier, il est tard et il faudra, d'après Youssef, " marcher vite, de nuit, en sautant de pierre en pierre ". J’ai déjà pu observer ces hommes, qui, si ils sont capables de rester des journées entières dans une immobilité quasi-absolue, peuvent également, subitement, sans le moindre bagage, se mettre en marche vers un but précis, sans compter les kilomètres et parcourir de très grandes distances, d’un pas rapide et assuré, de jour comme de nuit.

 

Le ciel est inquiétant, nos sacs ne sont pas prêts. Lahcene, qui n'a que faire de tous ces détails (il se déplace toujours sans le moindre sac) dit : " Bon, alors on y va ? ". En ce qui me concerne, je m'interroge,  mais Jean-Luc est catégorique, il ne veut absolument pas y aller.

 

Finalement, après bien des palabres, nous abandonnons cette idée de courir la montagne de nuit, et décidons de bivouaquer sur un terrain vague à proximité de Foum-Zguid. Ne pouvant les quitter aussi brutalement, nous invitons Youssef et l'oncle Ali à se joindre à nous car Lahcene tient à les inviter à manger " un bon repas avec de la viande ". Avec l'infinie disponibilité des nomades, les deux hommes nous emboîtent le pas en souriant.

 

Campement dans d’anciens jardins (on aperçoit les parcelles), à Foum-Zguid.

 

 

Le campement de " vrais et faux nomades ",  s'installe donc dans d'anciens jardins désaffectés. Il fait 9 degrés, le ciel est noir, un vent aigre nous fait frissonner et achève de nous transformer en statues de sable. Il a beaucoup plu les jours précédents et nous craignons un déluge nocturne qui noierait le bivouac. L'intendance s'organise dans une toute petite tente ; Jean-Luc et moi, légèrement inquiets, installons notre couchage en plein air, le plus possible à l'abri du vent, derrière un muret de pierre.

 

Avec Youssef et l'oncle Ali

 

 

Puis, pendant que le tajine mijote, nous prenons le thé en devisant sous la tente. De temps à autre, soulevant un pan de toile, je jette un coup d’œil angoissé vers le ciel plombé, menaçant. Le chauffeur Mohamed, très bavard et sur de lui, y va du récit de ses exploits et de ses prophéties catastrophiques, mettent nos nerfs à rude épreuve. La mine réjouie,  il évoque constamment la météo alarmante, parle des récentes inondations. Il exprime ses craintes que nous soyons emportés et noyés par un déluge, nous raconte maintes anecdotes  qu'il a vécues avec d'autres touristes dans des circonstances semblables. Il est au comble de la jubilation -il faut l'imaginer grand et très costaud- quand il raconte la fois où "laissant les touristes sur une sorte d'île, il a traversé la rivière en crue avec de l'eau jusqu'aux aisselles, en portant son sac au-dessus de sa tête pour ne pas mouiller ses affaires" (il mime) " Et le courant était très fort ! " (Sous-entendu : "moi je le suis davantage"). Enfin il conclut : " De toutes façons moi je m'en fous, je dors dans le 4 X 4. " Et il éclate d'un énorme rire. Jean-Luc et moi trouvons cela moyennement drôle. Allons-nous finir comme Isabelle Eberhardt (1); noyés dans le désert ? Une pluie fine commence à tomber, coup de grâce pour notre moral déjà bien miné. A priori, on ne va pas se promener dans le Sahara pour essuyer des trombes d'eau, mais, je l’ai constaté à maintes reprises, la pluie fait bel et bien régulièrement partie du décor. Fort heureusement, pour hommes bêtes et plantes, devrais-je ajouter.

 

Après un moment d'inquiétude et de flottement, j'ai une inspiration subite. Je sors à l'extérieur de la tente, pour m'isoler un peu du groupe pendant cinq ou dix minutes. Assise en tailleur et les mains jointes, je contemple longuement le ciel noir, lui demandant humblement de nos épargner pour la nuit. Juste pour cette nuit. Recueillement. Silence...  Puis je m'introduis à nouveau dans la tente et le murmure des conversations.

 

Nous mangeons. Le repas est excellent, mais... je n'arrête pas d'y penser... N'y tenant plus, je sors de la tente et ose regarder le ciel. Est-ce possible ? Je n'en crois pas mes yeux ! Les nuages noirs se sont évaporés comme par enchantement, cédant la place à un vaste dôme scintillant d'étoiles ! Je pousse un cri de surprise et de joie : "Dieu merci, ma prière a été entendue ! " Et Lahcene, à qui rien n'échappe et qui a tout compris, d'ajouter avec beaucoup de sérieux, d'une voix parfaitement égale : " Moi aussi, j'ai envoyé un fax là-haut..."

 

 

 

(1) Isabelle Eberhardt (17 février 1877 à Genève - 21 octobre 1904 à Aïn-Sefra, Algérie) est un écrivain suisse d'origine russe, et française de par son mariage.

« à Aïn-Sefra, en Algérie, l'oued se transforme en torrent furieux. La ville basse, où elle résidait seulement depuis la veille, est en partie submergée. (…) Isabelle, affaiblie par le paludisme, ne peut fuir et meurt noyée». Source

 

 

Tag(s) : #Sahara Maroc, #Livres - citations, #Voyages
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :