Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

José Meidinger, grand reporter à France 3 Alsace, a agrémenté ses voeux de bonne année 2008 par ce beau texte, qu'il m'autorise à publier, et que je me fais un plaisir d'illustrer !

Vous pouvez le  lire  en musique, en activant la vidéo  "EAU", inspirée par ce texte. Elle est située en fin d'article. J'observe et photographie obstinément la surface de l'eau, depuis quelques années...

 

 

undefined  



Il est une île lointaine,

Tout autour resplendissent les chevaux de la mer,
Course blanche autour de la vague écumante,
Elle brille à travers les mondes délicieux,
Terre aimable à travers les mondes de vie,
Où neigent un grand nombre d’orangers en fleurs…
Arriverai-je à te (vous) faire aimer « mon » île ?


31 décembre 2007. Cette nuit, nous savons que nous serons seuls. Chacun a choisi le lieu de sa retraite et de sa méditation. Moi, je pars sur une île. Je vais voir sombrer dans une mer sans couleur le dernier soleil de l'année. Quand le bateau repart pour le continent, nous restons à nous attarder sur la cale. Très vite, le bruit du moteur est rongé par la brume. Des oiseaux crient, invisibles. Dans mon île, il n'y a pas d'hivernants. Les touristes ne rôdent pas  sur les plages à la mauvaise saison. Les chemins sont déserts sous les arbres dépouillés.

Nous restons entre nous, entre gens simples. Il y a les gardiens du phare, la patronne de l'hôtel qui se plaint toujours de ses mauvaises jambes et de la morte saison, les pêcheurs aux tignasses emmêlées, le pêcheur au péril de la mer, le  pope avec sa grande barbe grise et ses pantalons ra­piécés de matelot. Nous sommes au bout du monde. Les enfants imaginent les villes illuminées, là-bas, à plus d'une heure de bateau. Les vieux s'attardent dans le jour qui fuit. Pour eux, le prochain voyage vers la grande terre se fera les yeux fermés dans le roulis éternel….La fin de l'année, c'est encore l'automne, l'arrière saison. Il ne fait pas froid. Une pluie fine grignote les battements d'une cloche. Ce soir, le vent est tombé et les fumées mon­tent toutes droites au-dessus des maisons blanches  écrasées par le ciel gris, immense, presque noir maintenant. L’année s’évapore…

 

1er janvier,  minuit. Les gens d'ici maintenant doivent dormir sous les gros édredons de satin rouge. Les meubles craquent dans la nuit comme les membrures d'un navire. Immobile, une goélette poursuit son voyage dans une bouteille, en plein cœur de l'église.



 

undefined



 

3 janvier 2008. Le bruit de la mer est comme une respiration régulière. Qui suis-je en train de tromper ? Ces gens simples qui ne  se cassent pas la tête - on a déjà bien assez de mal pour gagner sa vie. Ces amis ardents qui veulent bâtir une  île nouvelle?  Ceux qui attendent sur le bord du chemin ? Ceux qui travaillent en silence ? Ceux qui sont comme du pain très blanc et très fin sous l'écorce crevassée telle une paume de paysan ? Me voici.. étranger et désarmé. Comment dire aux gens intelligents que  l’on vit ici pour des choses simples ? Comment dire aux gens simples que nous vivons ailleurs  pour des choses compliquées soi-disant intelligentes ? Il faudrait si souvent se taire. Laisser les horloges moudre les heures, retrouver tout doucement cette union sans phrases avec un peuple sans détours.


 

4 janvier 2008. Mon île est au bout du monde. Elle est si basse sur la mer, il y a tant de brume certains jours d'hiver, que le continent ne voit plus ces rochers qui viennent respirer à la surface de l’eau. On croit parfois qu'ils vont plonger, disparaître. Mais mon île est un monde bien réel avec sa longue centaine d’hommes, de femmes, d'enfants. Les gens de mon île savent que l'eau est glacée au petit matin, que le poisson se vend mal sur la côte voisine, que ceux qui ont péri en mer n'auront jamais une place au ci­metière. Ils savent qu'on ne ruse pas avec le vent, que le courant fait la loi et que la marée mesure le temps. Dans mon île, on ne se pose pas de questions. On trouve d'instinct ce qui est nécessaire et ce qui est inutile. On ne lit guère le journal, mais on consulte souvent le baromètre. On croit plus volontiers ce que votre père vous a appris que ce que l’on voit à la télé….On aime mieux ceux qui sont proches que ceux qui sont étrangers. On ne cherche pas tellement à comprendre pourquoi il faut travailler, mais comment. Ce qui compte, ce sont des choses réelles, solides sous la main. Un casier à réparer, un olivier à élaguer,  une vigne à planter….Je ne pense pas que je puisse apprendre quelque chose aux gens de mon île. Mais ce matin, quand le soleil de l'an nouveau se lève, je sais qu'il va éclairer, avant mon île, tout un continent, là-bas vers l'Est, qui émerge du sommeil et de la si longue nuit. Immense et rouge, le soleil illumine une année nouvelle. Les rochers sont comme des aiguilles sombres. Des paillettes jaune pâle scintillent sur la mer. Mon île, mon pays, mon peuple, mes amis saluent le soleil. Et lentement, tu surgis du sommeil. J'ai veillé sur toi pendant toute cette nuit, ô mon île lointaine  aux longs cheveux  sombres  dénoués sur mon épaule.


 

undefined

 

Ouvre les yeux, vois, nous allons partir ensemble, pour un archipel immense, hérissé de cathédrales et de falaises. Nous naviguerons du Cap Nord au détroit de Gibraltar, de la mer d'Irlande au golfe de Corinthe. Nous découvrirons les Shetlands et les Cy­clades, les Baléares et les Lofoten, ….îles innombrables du bout du monde, au « large de l’amour »  où naviguerait l’ami Jacques, loin des Marquises « qui fredonnent toujours Gauguin »,  sous le grand tournant du soleil. « Gémir n’est pas de mise… » Viens, c'est une année nouvelle !

 

 

BONNE ANNEE 2008 !
José Meidinger


 

undefined


 





José Meidinger

France 3 Alsace - C'est mieux le matin



FOND'ACTION ALSACE - MEIDINGER José
Prix Guy OURISSON (ancien Prix Spécial du Jury) 1993

 

France 3 Alsace au donon et à la cabane Dersou



 

 
Tag(s) : #Portraits, #Les amis qui écrivent, #Autres régions ou pays
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :